HOMMAGE AU ZERO

HOMMAGE AU ZERO

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Un bien joli texte 😉

HOMMAGE AU ZÉRO
      J’ai eu pas mal d’occasions dans la vie de me trouver devant un zéro. Ecolier-pouvant-mieux-faire, j’en ai présenté quelques-uns, en reniflant, à la signature d’un père courroucé ou d’une mère gémissante. Plus tard, passé de l’autre côté de la barricade, il m’a fallu savoir le pourquoi de certains zéros et les apostiller, mon cœur paternel rempli de colère et d’inquiétude.
      Vous aussi, sans doute, vous avez le souvenir de quelques zéros dont la joue vous a cuit, et qui vous ont gâché des jeudis et des dimanches, voire des vacances entières !
      Zéros de travail, qui marquaient du rond rouge de la honte la lividité des copies blanches. Zéros de conduite que nos maîtres avaient, une fois pour toutes, pris l’habitude de nous asséner quand ils avaient cru découvrir en nous la brebis galeuse, le cancre indécrottable ou le plaisantin sournois, et qui nous rejetaient sans cesse dans les ténèbres extérieures de l’indiscipline.
      Zéros provocateurs, à la gauche desquels, faussaires sans vergogne, nous ajoutions un chiffre 1, pour éviter des sanctions familiales qui, au contraire, s’en trouvaient multipliées.
      Zéros pointés, superlatifs du néant !
      Zéros dont le cercle, avec son petit nœud coulant, nous serrait la gorge d’angoisse !
      Zéros, qui ont fermé tant de portes d’entrée !… Zéros, qui ont ouvert tant de portes de sortie !… Zéro maudit, rond infernal, cercle vicieux, combien de larmes avez-vous fait couler, combien d’échines avez-vous fait suer ?…
      Zéro que nous avons haï, vous êtes maintenant notre espérance. Zéro qui compromettez le présent et l’avenir des écoliers, votre cercle représente, pour les vélivoles que nous sommes, une corbeille remplie de promesses !
      Quand ça va de mal en pis, quand, dans une a atmosphère atone, tout semble vous abandonner, quand ça chute bêtement, irrésistiblement, quand le pilotage le plus soigné, l’invocation la plus fervente, le gros mot le plus gros restent sans effet… et que tout d’un coup, l’aiguille du vario se met à remonter vers le zéro, l’atteint et s’y maintient, tout cesse d’être perdu. L’espoir renaît. Un tour… deux tours… un tour encore… zéro toujours, zéro, zéro… Zéro ! ça n’est pas rien ! Zéro ! c’est quelque chose ! C’est magnifique, zéro !
      Et je te fignole la spirale, et je te tiens la bille au milieu comme s’il y avait quelqu’un pour la voir… Zéro ! Ça va ! Le temps passe, on reste en l’air, la vie est belle ! Patience ! Courage ! Appliquons-nous ! Zéro toujours !
      Le nuage là-bas, qui semblait inaccessible, approche tout doucement… Zéro de mon cœur, ne me lâche pas, tiens-moi jusqu’à ce qu’il arrive !
      Le voilà, ça y est ! L’aiguille est remontée d’un poil… Zéro positif… mieux que positif… Plus cinquante !… un mètre !…
      Sauvé!
      Petite vie qui dure, salle d’attente des belles envolées, sursis précaire qui se transforme parfois en acquittement définitif, zéro sauveur, merci !
In Invitation au vol à voile de Janine et Georges BEUVILLE
Flammarion, Paris 1960

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